Une histoire de 1er mai



Malgré les tentatives de récupération venues de toutes parts, la fête du 1er mai possède son histoire ouvrière à travers les pays et les âges. En voici une, provenue d’une région proche de notre frontière et qui rappelle que les prolétaires versèrent leur sang pour obtenir les droits que certains s’obstinent à détruire sous prétexte de dettes ou de pandémie.

N’oublions pas que le 1er mai n’est pas une fête, ni du travail ni du télétravail, mais la flamme sans cesse ranimée d’une lutte ouvrière pour obtenir et maintenir ce que les nouveaux barons voleurs veulent sans cesse reprendre : la journée des 8 heures et le jour de repos hebdomadaire.


Article original à lire ici


La fusillade du 1er mai 1891 à Fourmies est entrée à jamais dans l’histoire de France et des luttes sociales ouvrières !

Le 1er mai 1891, l’appel à une journée chômée et revendicatrice se veut international. Mais à Fourmies, cité du textile, l’armée, chargée du maintien de l’ordre, tire sur un groupe de grévistes. Neuf victimes gisent sur la Grand’ Place, suscitant effroi et vive émotion à travers le monde. Quelles ont été les causes et les conséquences de cette tragédie ? Que s’est-il passé précisément il y a 120 ans à Fourmies ? Démarrée comme un énième mouvement social local, cette journée sanglante va donner à la question sociale une nouvelle dimension et permettre l’affirmation du « 4ème État ». 121 ans après la fusillade du 1er mai 1891, que reste-t-il de cette tragédie ? Voici quelques éléments de réponses avec ce résumé historique.

À l’origine, le 1er mai était la fête du printemps ! Dès le Moyen-âge, le 1er Mai était fêté dans les campagnes et la coutume voulait qu’un arbre de Mai (arbre vert enrubanné) soit planté devant la porte de la personne à honorer dans le village. Ce jour de fête était par excellence un symbole du renouveau. Un peu plus tard, au 18ème siècle, le 1er Mai fut aussi choisi pour être la date traditionnelle du renouvèlement des baux ou des contrats de travail. C’est en France, au Familistère Godin à Guise (35 kilomètres de Fourmies) que naît en 1867 la notion de « fête du Travail ». Jean-Baptiste André Godin l’instaure pour la première fois le 2 juin 1867. Quelques années plus tard, la date de la manifestation sera arrêtée au premier dimanche de mai, avant de se confondre avec la date du 1er mai. Cette initiative fait de l’industriel de Guise, l’incontestable précurseur de cette Fête du travail à visée internationale.

Aux États-Unis, au cours de leur congrès de 1884, les syndicats américains se donnent deux ans pour imposer aux patrons une limitation de la journée de travail à huit heures. Ils choisissent de débuter leur action le 1er mai parce que beaucoup d’entreprises américaines entament ce jour-là leur année comptable. C’est ainsi que le 1er mai 1886, la pression syndicale permet à environ 200 000 travailleurs d’obtenir la journée de huit heures. D’autres travailleurs, dont les patrons n’ont pas accepté cette revendication, entament alors une grève générale. Le 3 Mai 1886 à Chicago, devant les usines Mac Cormick, une manifestation est organisée. Elle tourne au drame et fait 3 morts. Plusieurs militants sont arrêtés, condamnés à mort et pendus le 11 novembre 1887. C’est en hommage à ces « morts de Chicago » que la date du 1er Mai est choisie en 1989, par l’Internationale Ouvrière, comme étant une journée d’action des ouvriers pour la journée de travail à 8 heures.

La ville de Fourmies a atteint son apogée industriel et démographique en 1891. Elle compte alors près de 16 000 habitants, en majorité des ouvriers qui vivent des conditions d’insalubrité importante. Parallèlement à une baisse de salaire de 10 à 15 % entre 1882 et 1891, le prix du pain a augmenté de 20 % et celui du charbon de 44 %. Durant l’hiver 1890/1891, plus de 2 000 personnes sont ainsi secourues par le bureau de bienfaisance de Fourmies. Le contraste avec la richesse du patronat est de plus en plus insupportable et révoltante pour l’ouvrier. À l’approche du 1er mai, on craint des mouvements de grèves plus fort qu’en 1890.

Début avril, la journée du 1er Mai 1891 à Fourmies est préparée par des responsables du Parti Ouvrier Français, tels Hippolyte Culine et Paul Lafargue (gendre de Karl Marx, futur député du Parti Ouvrier en novembre 1891 à Lille). On y dénonce les « conditions de travail déplorables » et on revendique la journée de 8 heures de travail. Selon le programme, les ouvriers étaient invités à porter à 10h leurs revendications à la mairie. Des festivités l’après-midi et un bal en soirée étaient également inscrits au programme. Le 1er Mai 1891 n’aurait jamais dû se terminer dans un bain de sang…

Paul Lafargue - Député socialiste du Nord en 1891

Paul Lafargue – Député socialiste du Nord en 1891

Les patrons répliquent par une adresse très vive « contre les meneurs étrangers » et les « théories révolutionnaires ».  Affichée le 29 avril et signée par tous les entrepreneurs, sauf un, elle tente de dissuader les ouvriers de participer à la manifestation. À la veille du 1er mai, les patrons ont exprimé leur inquiétude au maire qui demande un renfort de troupes au sous-préfet d’Avesnes. Histoire de dissuader les ouvriers à se mettre en grève, le patronat menacera également de licenciement tous les ouvriers qui arrêteront le travail. Devant les risques de débordements, ils finiront par obtenir du préfet qu’il mobilise un important dispositif de maintien de l’ordre. En cette journée du 1er mai, 2 compagnies d’infanterie seront donc mobilisées.

Nous sommes le 1er mai 1891. À 9 heures, la plupart des ouvriers de la ville sont en grève. Une seule filature reste en activité. Après une échauffourée avec les gendarmes à cheval, quatre manifestants sont arrêtés. Le premier slogan de la journée « c’est huit heures qu’il nous faut  » est alors devenu « c’est nos hommes qu’il nous faut ». Le reste de la journée se déroule sans aucun incident majeur. En début d’après-midi, le maire de Fourmies promet de relâcher à 17h00 les ouvriers qui avaient été arrêtés le matin. Il est 18h15, place de l’église, face à la mairie de Fourmies, les 4 grévistes emprisonnés le matin à la mairie n’ont toujours pas été libérés.

 Près de 200 manifestants arrivent alors sur la place et font face aux 300 soldats équipés du nouveau fusil Lebel. Il est 18h20, les cailloux volent, la foule pousse. Pour se libérer, le commandant Chapus fait tirer en l’air. Il est presque 18h25, le commandant Chapus s’écrie : « Feu ! Feu ! Feu rapide ! Visez le porte-drapeau ! » La troupe tire et teste leur nouveau fusil Lebel.

La fusillade va faire une trentaine de blessés et neuf morts, dont 4 jeunes femmes et un enfant, parmi lesquels Maria Blondeau, jeune ouvrière de 18 ans tenant dans les mains un bouquet d’aubépine, Kléber Giloteaux, un jeune de 21 ans ou bien encore Émile Cornaille, âgé de 11 ans avec dans sa poche une toupie…

Ces morts, promus « martyrs » aux yeux des ouvriers, vont très vite devenir des symboles de la République répressive et de classe. Un dixième décès sera à déplorer le lendemain. Camille Latour, un ouvrier de 46 ans, commotionné après avoir assisté à la fusillade. Les 10 morts de Fourmies seront inhumés le 4 mai devant une foule estimée à près de 50 000 personnes. Quelques jours plus tard, à l’Assemblée Nationale, le député Georges Clemenceau déclarera « Il y a quelque part, sur le pavé de Fourmies, une tache innocente qu’il faut laver à tout prix….Prenez garde ! Les morts sont des grands convertisseurs, il faut s’occuper des morts ! ».

Avec le drame de Fourmies, le 1er mai va s’enraciner dans la tradition de lutte des ouvriers. Il représente un tournant considérable dans l’histoire du mouvement ouvrier français et mondial. À la fin de l’année 1891, l’Internationale Socialiste va renouveler le « caractère revendicatif et international du 1er mai » comme un jour à part pour le monde du travail, en hommage aux « martyrs de Fourmies » ! Il faudra attendre le 23 avril 1919 pour que le Sénat Français ratifie la journée de 8 heures. La signature des accords de Matignon par Léon Blum le 7 juin 1936, permettra une augmentation des salaires de 7 à 15 %, la reconnaissance du droit syndical dans l’entreprise, l’élection des délégués ouvriers, la création de conventions collectives, la semaine de 40 heures et les 15 jours de congés payés.

C’est Lénine qui décide en 1920 de faire du 1er mai une journée chômée en Russie. L’Allemagne nazie va encore plus loin. Hitler, pour se rallier le monde ouvrier, fait, dès 1933, du 1er mai une journée chômée et payée. La France l’imitera sous l’Occupation, en 1941. En avril 1947, la mesure est reprise par le gouvernement issu de la Libération pour faire définitivement du 1er mai un jour férié et payé…

En France, dès 1890, les manifestants du 1er mai ont pris l’habitude de défiler en portant à la boutonnière un triangle rouge. Celui-ci symbolise la division de la journée en trois parties : 8 heures de travail, 8 heures de sommeil, 8 heures de loisir. Le triangle est remplacé dès 1892 par la fleur d’aubépine avec un ruban rouge, en hommage à Maria Blondeau, l’une des victimes de la fusillade de Fourmies, tuée avec un bouquet d’aubépine à la main. En 1895, le socialiste Paul Brousse lance un concours dans son journal, pour inviter ses lectrices à choisir une fleur symbole. Peu à peu s’impose l’églantine, symbole de la Révolution française et fleur traditionnelle du nord de la France. Mais cette rose sauvage connaît un sérieux rival, le muguet, qui a pour lui de fleurir précisément début mai.

En 1907, le muguet, symbole du printemps en Île-de-France, remplace peu à peu l’églantine. Le brin de muguet est alors porté à la boutonnière avec un ruban rouge. Après la Première Guerre mondiale, la presse organise la promotion systématique du muguet blanc contre la rouge églantine. C’est sous Vichy (1941) que la fleur traditionnelle d’Île-de-France détrône définitivement l’églantine. À noter que depuis les années 1930, une tolérance de l’administration autorise les particuliers à vendre le 1er mai les brins de muguet sans formalités ni taxes.

L’exposition « 1891, un 1er mai à Fourmies » présente au musée du textile et de la vie sociale un fusil « Lebel » datant de l’époque de la fusillade. De calibre 8 mm, ce fusil a été inventé en 1886. Il pouvait contenir jusqu’à dix cartouches. Sa portée utile était de 400 mètres en 1891. Suite au drame de Fourmies, le fusil va subir quelques transformations. Sa portée maximale va alors s’approcher des 4 500 m (balle D). En 1891, le « Lebel » représente un progrès considérable pour l’armée. Il est puissant et précis, mais ne manque pas de défauts. Il est encombrant, mesure 1.30 m ou 1,82 m avec sa baïonnette. Le « Lebel » connut son baptême du feu lors de la fusillade de Fourmies. C’est en effet la première fois que l’armée française l’utilise. Les circonstances veulent que ce soit sur le territoire national et contre son propre peuple.

Dans le journal « l’Illustration » du 9 mai 1891, il est écrit : « C’est le fusil Lebel qui vient d’entrer en scène pour la première fois… Il ressort de ce nouveau fait à l’actif de la balle Lebel qu’elle peut très certainement traverser trois ou quatre personnes à la suite les uns des autres et les tuer. ». Ce fusil va équiper l’armée française jusqu’à la fin de la première guerre mondiale. Il deviendra le fusil emblématique de la Grande Guerre…



 

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