Pourquoi se bat-on aujourd’hui ?
Pour des retraites, pour un peu de dignité, contre le réchauffement climatique, pour « la planète », l’avenir, mais aussi pour ici et pour maintenant. Nous nous retrouvons pris dans des temporalités qui pourraient paraître décalées ou contradictoires. À quoi bon « sauver notre retraite » si nous ne sommes même pas capables de sauver le monde dans lequel nous sommes censés la prendre ?
Ou bien peut-être est-ce une chance inédite, un alignement des astres, qui nous permettent de saisir ce qu’il y a d’indissociable dans toutes les luttes qui secouent l’époque. Ce qui nous étouffe, ce qui intoxique, ce qui écrase, réduit, stérilise, a un nom, c’est le capitalisme.
Le régime des retraites est aujourd’hui pris d’assaut (1), car il mettrait en péril notre avenir économique. Par un esprit de prévoyance et pour éviter un effondrement des pensions futures, les gouvernants mettent en œuvre un modèle de retraites dont l’horizon se déploie entre 2030 et 2070. Observe-t-on la même diligence politique lorsqu’il s’agit concevoir des politiques climatiques ? Guidés par un principe de raison et de justice intergénérationnelle, les gouvernants réformeraient les retraites « Pour vos enfants », disent-ils.
Voyons justement ce qu’ils font « pour nos enfants », il suffit de constater à quel point nous sommes éloignés de l’objectif fixé par les accords de Paris en 2015 lors de la COP 21 – à savoir limiter l’augmentation de la température du globe d’ici 2100 à 1,5 °C par rapport à son niveau préindustriel. Cet accord repose sur un scandale : les promesses sont non contraignantes, ce qui revient à dire que nous fixons un seuil de température à ne pas dépasser sans nous donner les moyens de le faire respecter.
Ce qui est certain, c’est que face aux maigres résultats, relativement à la hauteur des enjeux, des mouvements climats et écologistes des deux premières décennies du XXIe siècle, l’heure est à la remise en question et à la transformation des pratiques militantes. Si les grandes manifestations climatiques et les nombreuses demandes adressées aux gouvernants se sont révélées inopérantes, faut-il engager des campagnes de désobéissance civile : blocages, affichage subversif, détérioration choisie de biens privés ? La gravité de la situation historique nous autorise-t-elle à nous en prendre aux infrastructures énergétiques, bureaucratiques, logistiques, stratégiques ? Ces questions ne flottent pas dans le ciel éthéré des idéaux militants, mais correspondent à des pratiques auxquelles nous sommes toutes et tous conviés depuis quelques mois : grèves scolaires, instaurations spontanées de ZAD, etc.
S’accompagnant d’une substantielle augmentation du nombre de personnes engagées, ces multiples mouvements ne visent plus des aménagements de la politique majoritaire. La question qui traverse les mouvements climat et les groupes écologistes est alors la suivante : prenant au sérieux la puissance des logiques destructrices à l’œuvre, comment faire advenir un profond changement institutionnel ou politique ?
Or, au beau milieu de la phase ascensionnelle de ces mouvements, voici que l’actualité française nous rappelle à nos fondamentaux : la grève générale.
Toute réforme importante des retraites interroge de facto l’horizon temporel de ces mouvements, leur profonde inquiétude face à ce siècle dont déjà deux décennies s’achèvent. En effet, à l’horizon des futures retraites, et selon les scénarios de croissance sur lesquels s’appuie la justification du nouveau régime par points, la température planétaire sera sans doute de 3 voire 4 degrés supplémentaires par rapport au niveau préindustriel. Et il n’est pas exagéré de dire qu’à ce moment les régions inhabitables se compteront par dizaines et les réfugiés climatiques par millions. En d’autres termes, le modèle économique avec lequel le régime par répartition serait incompatible est aussi celui qui ne peut fonctionner sans hypothéquer les conditions d’habitabilité de la Terre.
Une des vertus d’une grève générale est d’offrir une interruption du temps, c’est-à-dire une disponibilité totale à notre présent à l’ensemble des problèmes politiques, historiques, écologiques qui sont jetés devant nous.
La grève générale permet ainsi d’ouvrir la possibilité d’une explication conséquente de la société avec elle-même – tout le contraire des élections qui en donnent le plus souvent un pur simulacre. La grève peut-elle se révéler une modalité importante d’une contre-offensive sociale qui soit aussi écologiste ?
La mise à l’arrêt du monde économique n’offre d’abord aucune clé de résolution des problèmes, elle permet seulement de respirer et de commencer à soulever l’épaisse pellicule qui occultait le fourmillement des possibles. Tout mouvement politique d’ampleur, s’il se veut porteur d’une authentique créativité, ne peut se dispenser d’un tel apport.
GOAL vous présente ses meilleurs vœux pour que 2020 soit l’année du dépoussiérage de ce vieux monde productiviste et morbide. |