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Censure antiterroriste: la Commission européenne veut détruire l’Internet décentralisé
12 septembre 2018 – Ce matin, alors que toute l’attention était tournée vers l’adoption de la directive droit d’auteur, la Commission européenne a publié sa proposition de règlement contre la propagande terroriste en ligne.
Ce texte sécuritaire prévoit d’imposer plusieurs obligations aux hébergeurs, et notamment le retrait en moins d’une heure des contenus signalés. Il banalise la censure policière ou privée et donc le contournement de la justice. Il fait des filtres automatiques – justement au coeur du débat sur la directive droit d’auteur – la clé des politiques de censure à l’ère numérique1.
En pratique, seule une poignée d’hébergeurs pourront satisfaire de telles obligations – en particulier le délai d’une heure pour censurer les contenus. Les autres hébergeurs – la très grande majorité qui, depuis les origines, ont constitué le corps d’Internet – seront incapables d’y répondre et s’exposeront systématiquement à des sanctions.
Si ce texte était adopté, les quasi-monopoles du Net (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft, Twitter…) se verront consacrés dans leur rôle clé pour les politiques sécuritaires des États membres, et renforcés dans leurs positions ultra-dominantes – tous les autres services ayant du fermer boutique, y compris les services décentralisés qui respectent nos droits. Après avoir vaguement prétendu nous défendre avec le RGPD, la Commission européenne change radicalement de direction et compte désormais défaire l’État de droit en renforçant et en pactisant avec des firmes surpuissantes, qui exploitent nos libertés.
Pourtant, le reste de l’Internet, l’Internet décentralisé et gouvernable de façon démocratique, repose sur un contrôle fin et adapté à chaque personne des contenus qui y sont diffusés. Cette organisation est une des solutions les plus pertinentes pour freiner la propagation de messages problématiques, mais la Commission compte justement la détruire en lui imposant des obligations impossibles à respecter.
En pratique, la proposition de la Commission est donc non seulement inutile – les géants sont déjà largement actifs pour surveiller et censurer et collaborent très largement avec les autorités en matière antiterroriste.2Elle est surtout contre-productive : son principal effet serait de détruire l’unique version d’Internet compatible avec nos libertés fondamentales.
Ce règlement vient à peine d’être proposé aujourd’hui. S’en suivront des débats au sein des différentes institutions européennes. Nous y contribuerons avec la plus grande rigueur.
1 Ce règlement prévoit une obligation pour tout hébergeur Internet, quelque soit sa taille ou son fonctionnement, de retirer dans un délai d’une heure les contenus jugés de nature terroriste, en cas d’injonction faite par les autorités judiciaires ou administratives (article 4). Il permet également à ces dernières d’imposer une telle censure non sur la base du droit national applicable (par exemple, en France, le décret Cazeneuve de février 2015), mais sur la base des conditions d’utilisation des plateformes (article 5). Le texte invite aussi les acteurs du Net à adopter des mesures « proactives », sous la forme de filtres automatiques scannant les contenus mis en ligne pour bloquer ceux correspondants à certains critères arrêtés par ces firmes (article 6).
2 Depuis 2015, les États comme la France et des organisations telles qu’Europol ont développé de multiples partenariats avec les géants du numérique pour lutter contre la propagande terroriste, le plus souvent au mépris du droit international.